Quatre conférences, de Claude Simon – Un artisan nous parle

On ne saurait trop remercier le travail qu’ont fait les éditions de Minuit en publiant ces Quatre Conférences de Claude Simon, qui nous éclairent sur la pratique et la vision que ce grand écrivain avait de la littérature. Nul n’est besoin de connaître très précisément l’oeuvre, par ailleurs capitale, de Claude Simon pour apprécier comme il se doit ces quatre textes qui viennent compléter avec profit le Discours de Stockholm, publié lui aussi aux Éditions de Minuit, et dans lequel l’auteur des Géorgiques et de La Route des Flandres exposait déjà un début de théorie de la littérature.

Le terme de théorie de la littérature est d’ailleurs problématique : s’agit-il vraiment de cela ? On peut le remettre en question, Claude Simon choisissant, bien plutôt que de se définir comme un théoricien, de préciser que les observations contenues dans cet ouvrage sont celles d’un praticien, d’un artisan et non de quelqu’un qui intellectualise l’écriture et la littérature avant d’écrire. Il le rappelle lui-même, si ces pages sont porteuses d’une vision de la littérature, c’est une vision qui naît tout entière de sa pratique, c’est une vision indissociable d’une pratique de l’écriture et de la lecture : elle ne les précède pas.

On pourrait dire que Claude Simon est, dans l’ensemble d’écrivains qu’on a pu rassembler sous le nom de « Nouveau Roman », en un sens l’opposé d’autres auteurs comme Robbe-Grillet ou Sarraute, tous deux ayant très tôt ressenti le besoin ou la nécessité, d’accompagner leur production littéraire par des textes de théorie – Pour un Nouveau Roman et L’Ère du soupçon leur permettant d’inscrire leur oeuvre dans un vaste mouvement de réexamen des conventions littéraires. Claude Simon, à l’inverse (et c’est ce qui fait selon moi, que son oeuvre est plus forte que celles de Robbe-Grillet ou de Sarraute), n’a pas eu besoin de ces béquilles : ses romans parlent pour lui et, somme toute, ses romans dépassent toute la théorie qu’il aurait pu élaborer pour les justifier, là où les textes de Robbe-Grillet, s’ils peuvent être enthousiasmants à une première lecture, s’avèrent souvent être des formes d’illustrations sans âme de théories qui les ont précédés. Il y a dans l’oeuvre de Claude Simon ce souffle, cette tension vers la grandeur que Robbe-Grillet n’a pas. Ses textes sont sensibles, on y sent un rythme, une beauté communicative, tout comme sont communicatifs les états d’âme de lecteur et d’écrivain que Simon évoque dans ses conférences.

Le plus beau texte de ce recueil est pour moi « Le poisson cathédrale », conférence consacrée à l’écriture de Proust et au rapport entre métaphore et souvenir, et métaphore et sacré. Il y a une émotion certaine à suivre Claude Simon dans l’examen de tel détail d’une phrase pour y chercher une cohérence dans le système global des images chez Proust – en partant notamment de la comparaison d’un poisson et de ses arêtes à une cathédrale. Grâce à la précision de l’analyse de Simon, le texte de Proust semble se déplier devant nos yeux, nous apparaît avec simplicité et évidence – et dans chaque détail, semble nous dire Claude Simon, dans chaque petit détail d’une oeuvre, l’on peut trouver l’oeuvre entière, son mouvement logique, sa signification.

Cette attention au détail n’est d’ailleurs pas étonnante, Claude Simon s’attachant dans ces quatre conférence à définir une spécificité de l’écriture romanesque au vingtième siècle, à savoir l’importance donnée au roman comme système qui produit sa propre signification au sein même de l’univers textuel, et non plus dans un quelconque rapport à une réalité qui serait extérieure au texte. Dans une suite d’observations qui font toutes les « causeries » (comme Claude Simon appelait ses conférences), dans une suite de parallèles artistiques où l’on peut voir combien la culture de l’auteur était également et surtout une culture picturale (il cite Miró, Picasso, Goya…), ce sont autant de thèmes qui défilent pour appuyer cette idée générale : la question de la description, le rapport à la cohérence interne de l’oeuvre, la question du temps et de la mémoire.

Alors, il est difficile de faire la critique d’un tel recueil sans faire une paraphrase complète de ce qui est dit, tant les idées et les arguments s’enchaînent de manière cohérente. Aussi me bornerais-je à vous enjoindre à lire ces Quatre conférences qui sont autant de petites invitations à l’admiration et à la ferveur. Et ensuite, relisons L’Acacia ou L’Herbe – ce sont les oeuvres d’un grand lecteur.

Image: Photos de la place Monge prises par Claude Simon et publiées dans Du, die zeitchrift der kultur, n° 691, janvier 1999, p. 69 (source Fabula).

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